23.11.2023
Le sujet de la conférence s’inscrit dans la lutte contre toute discrimination sur le lieu de travail. Il est d’actualité comme l’a montré un auditoire de plus de 100 personnes provenant de différents secteurs : juristes, responsables RH, représentants religieux, personnes intéressées par le développement de la société… Le directeur de la LSRS a d’abord évoqué le cadre socio-historique de la question ; ensuite quatre orateurs ont exploré le droit et la jurisprudence.
Ainsi le Prof. Jean Ehret a caractérisé le Luxembourg comme un pays où des personnes issues de différents pays et cultures cohabitent en paix. Le facteur « religion » n’a pas la même place dans la vie des habitants suivant leur origine. Pour ce qui en est du Grand-Duché, l’European Values Study a montré que le taux des personnes qui se déclaraient, suivant les questions posées, religieuses a fortement diminué à Luxembourg. 48% des personnes disent encore appartenir à un culte, ce qui est une minorité. Quand les personnes sont interrogées sur l’importance de la religion dans leur vie, il n’y a que le Danemark et la Suède où le taux des personnes qui considèrent la religion comme importante est inférieur à celui du Grand-Duché. Les personnes qui choisissent donc d’adhérer à une religion, de façon consciente, pour différentes raisons, aimeraient aussi s’identifier davantage à ce choix. Nous ne nous situons pas au niveau d’une rationalité abstraite mais au niveau des convictions existentielles. Il revient au droit d’encadrer les personnes pour permettre un vivre ensemble dans le respect des différences. Comment cela peut-il se faire en ce qui concerne les religions et leur expression dans le cadre des entreprises ?
Monsieur François Biltgen, juge à la CJUE depuis plus de 10 ans, s’est attelée à la première intervention, et a brillamment fait une « Introduction sur l’état de la jurisprudence de la CJUE ». Ayant rappelé le rôle supra-étatique de sa juridiction, et donc son contrôle parfois limité sur les législations nationales, il a rappelé les jurisprudences les plus marquantes de la CJUE sur le sujet, et s’est attardé notamment sur l’arrêt récent du 13 octobre 2022, S.C.R.L. (C-344/20, EU:C:2022:774) et la question du port des vêtements à connotation religieuse sur le lieu de travail. Cet arrêt permet de rappeler deux des grands fondements de l’analyse de la question de la présence de signes religieux sur le lieu de travail, qui sont l’absence de distinction entre religion ou conviction, en ce qu’ils constituent un seul et même motif de discrimination, et qu’une règle interne d’une entreprise privée interdisant le port de tout signe visible de convictions ou religion sur le lieu de travail n’est pas une discrimination dès lors qu’elle vise indifféremment toute manifestation de telles convictions et traite de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise.
S’ensuivit l’allocution du Dr. Leopold Vanbellingen, chercheur postdoctoral à l'UCL, et son analyse de la « Liberté de conscience du salarié et neutralité de l'entreprise ». Sa thèse, défendue en 2021, portait déjà sur la gestion du fait religieux sur le lieu de travail, sujet dont il fait sa spécialité. Après avoir rappelé les tendances factuelles et le cadre juridique, il a abordé la question de la neutralité de l’entreprise privée, souvent mis à mal par les cas spécifiques de chaque employé, et la difficulté de satisfaire les besoins de tous sans favoritisme aucun. Il a rappelé de nombreux points essentiels de cette neutralité, faisant référence tant au service du bon fonctionnement interne à l’entreprise (organisation du travail, paix sociale entre travailleurs…) qu’au besoin externe et à l’image de marque de l’entreprise. Ceci entraîne un travail de balance des intérêts, qui rend difficile pour tous les employés d’y voir une application cohérente du fait même des singularités des convictions personnelles. Cette difficulté a d’ailleurs été illustrée par l’orateur avec la question du port de la barbe, signe religieux pour certains, effet de mode pour d’autres.
Maître Denis Philippe, professeur ä l’UCLouvain, a pris le côté de la question pratique, en rappelant les principes essentiels du « fait multiculturel dans le lieu du travail : dispositions à insérer dans le règlement de travail et/ou le contrat ». Avocat au barreau de Bruxelles et de Luxembourg, il a insisté sur les principes de dignité et d’égalité, du respect d’autrui, de la convivialité, et enfin de loyauté. Ces principes, certains légaux, d’autres de bon sens, sont finalement ceux que recherchent les entreprises au quotidien. Se pose alors la question, issue de la même balance abordée par l’orateur précédent, entre l’entreprise comme lieu de promotion des composantes personnelles de chaque employé, faisant partie de ses qualités, et la neutralité nécessaire mais qui peut être vue comme le renoncement à toute expression de convictions. Le plus important, dans un abord pratique, serait de prévoir la question de la manière la plus précise dans le contrat de travail, mais également par une « charte » formalisée par l’entreprise, pouvant inclure une obligation de neutralité, où les comportements incompatibles seraient explicités.
En clôture de cette conférence, Maître Guy Castegnaro a abordé « l’influence de la religion sur le droit du travail luxembourgeois ». Face au silence de la loi, qui ne fait que rappeler les grands principes déjà abordés par les orateurs précédents, mais également de la jurisprudence qui n’a pu se pencher sur ce point à ce jour, il a mis en lumière l’influence religieuse en matière de temps de travail (l'interdiction de principe du travail du dimanche, ou les jour fériés légaux issus de la religion chrétienne). Il a également souligné l’importance des fondements religieux ou éthiques et leurs répercussions en droit du travail, alors que ces fondements ont permis notamment la création des principes de la dignité humaine, la charité et la solidarité, ou enfin l’honnêteté et la loyauté propre à toute convention et reprise au Code Civil.