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(4) Se couvrir : entre rituel religieux et esthétique

4e séance du séminaire « Revêtir l’invisible : la religion habillée »

La quatrième séance du séminaire, qui a eu lieu au Collège des Bernardins le 1er octobre 2020, s’est proposée d’interroger cette partie du vêtement qui recouvre la tête : chapeau, bonnet, coiffe, turban, fez, etc. Deux cas de figure ont permis de mettre au jour les enjeux culturels, sociologiques, religieux, voire politiques de cet « accessoire » qui s’avère pourtant « essentiel ».

Anne Monjaret, directrice de recherche au CNRS et à l’EHESS (Paris), a ouvert la séance par un exposé intitulé « Coiffer sainte Catherine : de la bienséance à la moralité, apprendre à être femme ». Remontant à l’origine de l’expression, Anne Monjaret a jeté un éclairage sur une coutume très scénographiée et hautement codifiée qui s’imposait à la jeune fille en âge de devenir femme (15-25 ans). Poser un chapeau sur la sainte et sur sa propre tête était l’emblème de la vie « ordonnée » à laquelle se vouait (fille, épouse, mère). Cette corrélation entre mettre de l’ordre dans ses cheveux et dans sa vie la distingue de la « grisette », femme facile « en cheveux ». D’autres attributs se mêlent à ce rite de passage: l’aiguille, symbole féminin, et l’épingle, symbole masculin, réservée aux couturières à la morale légère. Le rite de « coiffer » les Catherinettes (potentielles vieilles filles de 25 ans) d’un bonnet vert et jaune (couleurs de la pureté défraîchie et du désordre) en dit long sur la moralisation de l’éducation qui passait par l’habillage. Être femme nécessitait de se conformer à des codes sociaux et moraux qui incitent à la modestie, dont se couvrir la tête. Ce geste contribue à cacher les cheveux, symbole de la sexualité.

Père Alberto Fabio Ambrosio, co-responsable du séminaire « Revêtir l’invisible: la religion habillée » du Collège des Bernardins et professeur de théologie et histoire des religions à la Luxembourg School of Religion & Society, a ensuite pris la parole avec un exposé intitulé « Se couvrir la tête en Turquie ». Il a montré qu’à l’époque de l’instauration de la République turque par Moustafa Kemal Atatürk en 1925, la mode ottomane de porter un couvre-chef ainsi que les pratiques religieuses du soufisme ont été frappées du même interdit. Un nouveau régime opère une éviction symbolique par le biais d’une nouvelle façon de se vêtir, en l’occurrence à l’occidentale. L’on constate toutefois un retour en force des turbans, ou fez ottomans depuis le durcissement du régime d’Erdogan. Alberto Ambrosio a voulu insister sur cette véritable « couronne » de l’être musulman par le turban de plus en plus sophistiqué à mesure que l’on monte dans la hiérarchie jusqu’aux dignitaires richement coiffés. La symbolique très complexe du couvre-chef ottoman se reflète d’ailleurs dans des traités par exemple soufis, qui lui confèrent des fonctions mystiques, entre autres d’affranchir l’âme de sa condition horizontale mondaine.

Le débat très animé a porté sur les enjeux politiques et moraux de tout « dress code », sur la rémanence de certaines pratiques à l’époque actuelle (le fait de coudre un cheveu dans une robe de mariée) ou leur appropriation par les stylistes, sur les connotations pudiques voire pudibondes de certains vêtements, sur les interdits vestimentaires en général.

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