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(6) La robe de folie

6e séance du séminaire « Revêtir l’invisible : la religion habillée »

Nathalie Roelens (co-organisatrice du séminaire) introduit la séance en redéfinissant la robe selon trois axes :

(1) défi épistémologique (parure/marchandise, matière/symbole, forme/informe, rigidité/fluidité, depuis la « contrainte » chez Leopardi, le progressif « assouplissement » observé dans l’Histoire par Vigarello, jusqu’à l’aisance recherchée par les créations de Fortuny ou de Chanel, voire l’actuelle mode du {homewear} en quête de confort et de réconfort) ;

(2) objet sémiotique (pour Fontanille la robe opère un « débrayage » incomplet entre corps et enveloppe dont les point fixes l’empêchent de devenir haillon informe) ;

(3) motif esthétique (le « pathétisme textile » repéré par Aby Warburg dans l’iconographie de la renaissance, relayé par Didi-Huberman qui explore ce qui « anime » le tissu inerte, ce qu’il y a d’émouvant dans le mouvant).

Les trois piliers attestent la nécessité d’appréhender la robe comme ontologiquement « inachevée » – « Il y a dans toute robe neuve je ne sais quoi de toujours inachevé » (Gérard d’Hourville au sujet de Fortuny en 1911) – sous peine de verser dans le fétichisme (le complexe d’Ophélie ou la robe d’eau) ou dans l’adoration d’une relique (la robe de Léopoldine Hugo noyée). Dès lors qu’ils permettent le retroussement érotique, les plis et les matières fluentes animent la robe et légitiment indirectement la corrélation entre vêtement et folie témoin, la fureur de l’élan spiralée déjà observé par Mallarmé dans la « Danseuse » de Whistler – « Tourbillon de mousseline ou / Fureur éparses en écume » (1890) –, ou l’envol et l’affolement du crêpe ivoire de la Subway Dress portée par Marilyn Monroe, figée par une photo devenue emblématique.

Nicole Foucher, maître de conférences en « Mode et cinéma » à l’Université de la mode, Université Lumière Lyon 2, a choisi de parler de « Deux robes de folie », dans les films Camille Claudel (Bruno Nuytten, 1998) et Séraphine (Martin Provost, 2008) : celle de Camille Claudel et celle de Séraphine Louis (dite Séraphine de Senlis), toutes deux nées en 1864, disparues très âgées à quelques mois d’intervalle (1943 pour Camille, 1942 pour Séraphine). Alors que tant d’éléments sociaux et personnels les opposaient, leur vie d’artiste leur fit traverser des épisodes d’une violence comparable, aboutissant pareillement à l’internement et à l’isolement, jusqu’à leur mort, en asile psychiatrique. Or, coïncidence significative, les deux films qui évoquent leur vie, Camille Claudel et Séraphine, ont pour temps fort une séquence centrée sur une robe, élément décisif du scénario puisqu’elle « justifie » leur internement.

Élément d’identification sociale et d’une individualité, à travers l’Histoire, le vêtement a souvent joué un rôle fort pour identifier et codifier la « folie », terme à la fois négatif et imprécis, qui recouvre des formes variées de dysfonctionnement ou de désordre mental et psychique. Nombre de représentations artistiques (sculpture, peinture, littérature, etc.) se sont déjà attachées à traduire la « folie », avant même le cinéma. Toutefois, privilégiant la mise en scène du corps des acteur.trice.s, comme de leurs vêtements, le 7e art s’est souvent attaché aux personnages atteints de folie, différents et souvent extrêmes.

Nicole Foucher s’est employée à analyser les liens que le scénario et la mise en scène des deux films tissent entre les vêtements des deux artistes et leur état psychique et mental, leur folie.