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(7) Une mode intérieure

7e séance du séminaire « Revêtir l’invisible : la religion habillée »

Cette session est modérée par Marco Pecorari, professeur et directeur du programme MA in Fashion Studies à Parsons Paris, où il enseigne et mène des recherches sur l’histoire et la théorie de la mode. Il est l’auteur de Fashion Remains: Rethinking Fashion Ephemera in the Archive (Bloomsbury, 2021) et co-éditeur, avec Andrea Kollnitz, de Fashion, Performance and Performativity: The Complex Spaces of Fashion (Bloomsbury, 2021).

Pecorari commence son introduction en exhumant La Carrozza da nolo, ovvero del vestire e usanze alla moda (La voiture louée ou du vêtement et des habitudes à la mode, 1648-1650) d'Agostino Lampugnani. Né à Milan, Lampugnani a embrassé la règle bénédictine, prenant le nom d’Agostino et entrant au couvent milanais de Saint Simpliciano, et se met à publier sur les questions de moralité et de tendances dans la société. Ce livre interroge la moralité et la mode mise en scène sur une « voiture de location, décorée de masques qui visent à démasquer la Mode afin de la faire apparaître aux yeux des sages comme une enchanteresse qui, avec des charmes et des luxes, et des termes vicieux, corrompt et infecte la conversation civile ». Le livre met en effet en lumière nombre de questions que les orateurs de cette séance abordent : l’identité, le rôle du vêtement dans l’exécution de la corporalité des âmes spirituelles et intérieures et la dichotomie entre le dedans et le dehors qui en découle.

La Carrozza da nolo n’est pas seulement le premier texte à utiliser le terme « moda » en italien, il explore aussi les significations de la mode au-delà du simple vêtement, en l’associant au vice, etc. La tradition et le changement sont au centre de son travail, anticipant de nombreuses questions qui caractériseront l'étude de la mode en relation avec la modernité, entre autres le « fléau » de l’habillement indiscipliné et d’autres habitudes « impropres à un style de vie vertueux » (Lampugnani : 1649, 2-3). Mais sa critique est plus profonde et indissolublement liée à une morale religieuse qui émerge clairement avec ses commentaires sur les styles de cheveux et leur symbolisme : « Mais si on me permet de parler comme je le sens, notre siècle actuel est déplorable, car la verve de suivre les tendances de la mode a infecté le cerveau de certains hommes religieux qui portent maintenant leur barbe parfumée. De même, les religieuses, malgré leur couvre-chef, laissent apparaître leurs cheveux. Le monde excuse ces abus, car ils sont à la mode. Mais, si les âmes sont séparées des corps, comment Dieu va-t-il les punir ? » (Lampugnani : 51-52) Cette affirmation permet à Marco Pecorari de passer le flambeau aux trois orateurs.

Otto Von Busch & Jeanine Viau, « Silhouettes de l'âme – possibilités de dialogue entre la mode et la religion »

Otto von Busch est professeur associé de design intégré à la Parsons School of Design. Il est titulaire d'un doctorat en design de l'école de design et d'artisanat de l'université de Göteborg, en Suède, et a enseigné et exposé ses travaux à l'échelle internationale sur le thème de l'autonomisation et du vitalisme dans la mode.

Jeanine Viau est maître de conférences associée en religion et études culturelles à l'université de Floride centrale. Elle est titulaire d'un doctorat en théologie avec une concentration en études féminines et études de genre de l'Université Loyola de Chicago, et a publié des recherches sur le catholicisme contemporain, les études queer en religion, la théologie féministe et la pédagogie.

Dans leur exposé, Otto von Busch et Jeanine Viau dialoguent sur leur volume à paraître, Silhouettes of the Soul. Meditations on Fashion, Religion, and Dressing Deeply. En public, l’habillement est une manifestation contestée de valeurs et de pratiques, mêlée à l’anxiété quant au type d’âme qui réside sous les étoffes. Des lignes de bataille traversent les vêtements et les vidéos haul, les filtres Instagram trompeurs et les procédures médialisées de sotériologie publique. Ces débats remettent en question les modèles d’agentivité et d’intimité divine que la robe rend possibles.

Fiona Diffenbacher, « Le corps futur en tant que robe ultime »

Fiona Diffenbacher est professeur adjoint de mode à la Parsons School of Design. Elle est titulaire d'une maîtrise en études de mode de la Parsons School of Design et a enseigné plusieurs cours de design de mode. Ses recherches se situent à l’intersection de la robe, de l’incarnation et de la matérialité, avec un accent particulier sur « l’espace entre » la théorie et la pratique. Elle contribue régulièrement à des conférences internationales sur une série de sujets et la deuxième édition de son livre Fashion Thinking: Creative Approaches to the Design Process, a été publiée par Bloomsbury en décembre 2020.

Alors que les théoriciens actuels de la mode et de la culture reconnaissent la relation entre le corps et l’habillement en tant que pratique incarnée et discutent du corps social, habillé ou « façonné » dans le contexte du monde naturel actuel dans lequel nous vivons, ils ne représentent pas pleinement la relation complexe entre le matériel, le « spirituel" et le philosophique, ou le corps, l’âme et l’habillement dans le contexte de la croyance religieuse en un avenir surnaturel entièrement incarné. Dans son exposé, Fiona Diffenbacher vise à présenter une approche intégrée de ce sujet par le biais d'un modèle mode-robe-âme incarnée qui offre une vision plus unifiée de l'incarnation actuelle, ainsi qu'un cadre inclusif qui cherche à représenter les états futurs de l'habillement, des corps et des environnements dans la perspective du christianisme réformé.

L’importante question de savoir si nous habillons le corps ou l’âme, la perspective d’un « habillage ultime » comme incarnation dans un corps glorieux qui résout l’opposition entre le physique et le spirituel, a suscité une discussion animée. Certains ont fait valoir que l’eschatologie pourrait déjà être réalisée dans la vie quotidienne et le nu dépourvu d’un sentiment de honte. Par ailleurs, le clivage entre la religion comme pure et permanente et la mode comme consumériste et éphémère a été désavoué. D’autres questions ont porté sur le voyage présupposé par l’out-fit dans les sphères privées ou publiques, sur l’échec ou la capitulation de l’agentivité, posture d’ailleurs inhérente aux pratiques religieuses, ou sur la narration qui accompagne les vêtements portés ou usés.