Le 10 octobre 2019 a eu lieu dans les locaux du Collège des Bernardins à Paris la première séance du séminaire « Revêtir l’invisible : la religion habillée », organisée par le Département Parole de l’Art, dirigé par Alberto Ambrosio, Professeur de théologie et d’histoire des religions à la Luxembourg School of Religion & Society et co-directeur du Séminaire « Revêtir l’invisible », et par Nathalie Roelens, Professeure à l’Université du Luxembourg.
Alberto Ambrosio, Co-directeur du Séminaire « Revêtir l’invisible » :
Cette première séance, donnant la parole à une historienne de la mode et à une chercheuse en théologie, a interrogé les enjeux historiques, éthiques et sociétaux du concept de « mode modeste ». Elle a été l’occasion aussi de défricher le terrain. Le concept, calqué sur l’anglo-américain « modest fashion » se répand de plus en plus dans l’espace public et sur la blogosphère. Actualisation d’une morale vestimentaire remontant aux trois monothéismes ou aux traités de savoir-vivre, ce nouvel habitus semble une opportunité pour la femme de disposer de son corps, d’affirmer un style de vie pudique, voire de se « dé-marquer ». Cette façon d’assumer ses choix est-il pour autant un bouclier contre tout regard patriarcal, comme le considèrent certaines féministes ? Ou, en revanche, la mode modeste tend-t-elle à assujettir encore davantage celles qui ont opté pour cette vogue, non seulement à un regard sexué mais aux intérêts marchands de l’industrie de la mode faite d’injonctions dissimulées ?
L’intervention de Marjorie Meiss, historienne, maître de conférences, Université de Lille, a été l’occasion d’une mise au point historique sur ce qu’est la mode modeste. Le point de départ de l’investigation est représenté par les faits d’il y a quelques années. En 2016, la vive polémique déclenchée à l’annonce de l’entrée de grandes marques de prêt-à-porter et de haute-couture sur le marché de la « mode pudique » (modest fashion) a fait découvrir à bon nombre de Français l’existence de ce courant. Pourtant, le désir de concilier goût de la mode et respect de la morale vestimentaire imposée par une religion n’est pas une invention du XXIe siècle. Le pieux XVIIe siècle vit en effet directeurs de conscience, dévots et dévotes s’interroger sur la manière d’être à la fois de bons chrétiens et d’honnêtes hommes et femmes en phase avec les évolutions vestimentaires de leur temps. La confrontation des réponses apportées au XVIIe siècle et aujourd’hui à ce dilemme amène à réfléchir sur le jeu des regards dans la construction des rapports femmes-hommes, sur l’art difficile d’être dévot en société ainsi que sur le rôle de la négociation permanente des normes dans la dynamique même de la mode. Ainsi Marjorie Meiss a mis en évidence la généalogie historique et linguistique de la question de la mode modeste, ou mieux, de la mode pudique.
Hanna Woodhead, doctorante en théologie à l’Université de Genève, a pu développer une véritable réflexion théologique sur la pertinence pour la croyant/e d’une mode modeste, avec une articulation à partir de la vertu de la modestie. Assimilée à une vertu féminine par excellence, la pudeur a été mobilisée pendant des siècles pour contenir le corps féminin, perçu comme dangereux. Les luttes féministes occidentales du XXe siècle se sont cristallisées autour de certains vêtements (bikini, mini-jupe, etc.) qui découvrent le corps féminin au nom de la liberté des femmes à disposer de leur corps comme elles l’entendent. Les crispations qui émergent autour de la mode pudique à motivation religieuse, notamment en France au tournant du XXe et du XXIe siècle, montrent qu’il paraît souvent antinomique d’associer pudeur vestimentaire et progrès féministe. Ces crispations nous amènent à nous interroger sur la définition même de la mode pudique, et sur la voie spirituelle originale qu’elle ouvre pour les femmes croyantes de toutes religions.
Cette première séance ne fait qu’inaugurer une recherche scientifique d’ampleur entre la mode et les religions.