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Mode Modeste à la mode ?

Un retour sur le colloque conclusif du séminaire de recherche « Revêtir l’invisible : la religion habillée »

Mode modeste : pudeur, intimité, décenceSous ce titre s’est tenu le colloque conclusif du séminaire de recherche Revêtir l’invisible : la religion habillée organisé conjointement par la LSRS et le Collège des Bernardins de 2019 et 2021, sous la direction des professeurs Alberto Ambrosio (LSRS, CdB) et Nathalie Roelens (Uni.lu, LSRS). N’est-il pas paradoxal de parler de mode modeste ? N’est-elle pas par définition ostentatoire ? Dès lors a-t-il été question de mode ou d’anti-mode ?

La mode, ce ne sont pas seulement des vêtements ; on peut la considérer comme un art ; c’est aussi un système industriel qui est régulièrement critiqué pour un manque d’éthique (cf. p. ex. la question du travail des enfants) ou pour son faste. Toujours est-il que ce système affiche plus d’une fois un intérêt certain pour des valeurs morales : il suffit d’observer le succès actuel du life-style ascétique au sein de différentes sous-cultures minimalistes sur Internet. On trouve de même un véritable segment de la mode qui affiche la modestie : en témoigne le succès des lignes de mode musulmane dans les enseignes de grande distribution vestimentaire. Ne s’agit-il pas d’une tentative commerciale de récupération, à l’image du greenwashing, ce procédé de marketing qui consiste à faire labelliser écologiques les produits réputés nocifs pour l’environnement ? Qu’en est-il dès lors d’une « mode modeste » pour autant qu’elle ne doive pas se résumer à un slogan ?

Le colloque a permis de rassembler des spécialistes de différentes sciences humaines pour travailler cette question à travers différentes perspectives et époques. Théologien dirigeant le séminaire L’art et les formes de la nature du Collège des Bernardins, Jérôme Alexandre a travaillé les réflexions de Tertullien sur la source de la notion de pudeur tandis que l’historienne Nicole Pellegrin (CNRS) s’interrogeait si la coiffe d’une femme peinte n’en disait pas énormément sur la question de la censure (et de son contournement) dans la logique des arts du 19e siècle. Ethnologue, Anne Monjaret (CNRS-EHESS) s’est intéressée au style vestimentaire des statues ouvrières dans Paris. Les robes féminines ont toujours été sujet à des commentaires moraux : Une robe extravagante, cachant pourtant au maximum le corps, est-elle forcément indécente ? Majorie Meiss (Université de Lille) y a apporté une réponse du point de vue de l’historienne tandis qu’Alberto Ambrosio (LSRS, CdB) a remis en question en tant que théologien et historien des religions un vieux préjugé : L’Église s’est-elle véritablement mise en croisade contre la longueur des robes durant le début du 20e siècle ? Mais le christianisme n’était pas la seule religion représentée. Sociologue des religions, Lina Molokotos Liederman (Université de Fribourg) a traité la question de savoir si un luxe modeste est-il forcément un oxymore – surtout quand il est associé à une religion iconoclaste comme l’Islam. S’il existe une science dont la compétence est quasi transversale, c’est la sémiologie. Et ainsi Nathalie Roelens (Uni.lu, LSRS) s’interrogeait en tant que sémiologue si la popularisation du cuir vegan dans la haute couture tend elle à amenuiser la violence symbolique et économique dont ce secteur fait l’objet.

Toutes ces contributions ont convergé vers le climax de cette dernière journée de conférence : une performance artistique de Nicole Max et Élodie Brochier, mêlant collages, découpages et mises en voix, à propos d’une ré-énonciation d’un tableau moyenâgeux représentant un manteau à fourrure de goupille – l’habit prend la forme, ici, d’une viande vivante mais faisandée, demandant à se faire dévorer ; ce que ne manquera pas de faire la protagoniste, une renarde, s’arrachant, pour ce faire, sa propre fourrure avec ses dents. Ce conte allégorique peut tout à fait nous rappeler une robe portée par Lady-Gaga, un soir de gala, constituée de viande crue, dont l’aspect odorant n’a pas manqué de gêner tous ceux qui étaient assis à ses côtés. Il est à noter que chacune de ces contributions est consultable sur la chaine YouTube du Collège des Bernardins .

Dès lors, vu les questions soulevées par les intervenants de cette journée d’étude et la complexité des réponses données, il apparaît que le problème qui se dissimule sous la popularité renouvelée de la modestie dans la mode est bien celui d’une adéquation entre ce domaine des arts et les valeurs éthiques qui animent, aujourd’hui, le débat public. En effet, après l’effondrement, au Bangladesh, du bâtiment du Rana Plaza, le 24 avril 2013, à l’intérieur duquel était confectionné un certain nombre de vêtements vendus en grande distribution, ce qui a engrangé le décès d’un millier de travailleuses de l’ombre, il est plus que temps de s’interroger sur notre « boulimie vestimentaire » pour revenir à une consommation textile bien moins écocide et socialement plus respectable. À moins que le pansement ne serve à cacher cette plaie, il importe de contribuer à un tournant modeste ou pudique de l’art du vêtement. Gageons que ce dernier arrivera au plus vite.

 

Alexis Vandeweerd, M.A.
Research Scientist & Doctoral Student, LSRS

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